Une famille expatriée est comme un équipage embarqué sur un navire. Cet équipage est soudé pour braver les tempêtes, solidaire pour organiser la vie à bord, pour amarrer le navire lors de l’arrivée au port. C’est également ensemble que les membres de l’équipage admirent un merveilleux coucher de soleil, dégustent la pêche du jour et découvrent de nouvelles contrées.
Les expériences sont vécues en même temps même si pas forcement perçues de la même façon. L’aventure est commune, les évènements partagés par tous les membres de la famille.
Cette famille qui vit loin de ses bases d’origine a donc des caractéristiques propres, ou plutôt des caractéristiques exacerbées par rapport à une famille sédentaire. La famille expatriée est souvent fusionnelle car nucléaire, juste composée des parents et des enfants : c’est un microcosme d’une richesse surprenante.
Dans la famille expatriée je voudrais…
… Le sentiment d’appartenance
Car oui, lorsque tout change autour de nous et que l’on doit sans cesse se présenter, se définir, il est précieux cet endroit où l’on nous connaît, ou l’on n’a pas besoin de donner d’explication sur son histoire, son parcours, sa personnalité. En expatriation, le sentiment d’appartenance est complexe. Les membres de la famille se sentent appartenir à leur culture d’origine mais également au pays dans lequel ils vivent leur quotidien. Il leur est alors souvent difficile de se positionner par rapport à leur entourage. Lorsque l’on ne sait plus très bien si l’on appartient à une culture ou à une autre (notamment pour les plus jeunes qui ont vécu plusieurs expatriations), l’environnement familial est alors le seul environnement où l’on a tous les mêmes codes, les mêmes rituels (familiaux davantage que culturels), le même vécu. C’est seul groupe auquel on appartient quel que soit les bouleversements extérieurs.
… Le sentiment de refuge
Dès que l’on change de pays tous les 2, 3, 4 ans, la famille devient le seul repère inamovible dans la vie des enfants. Les relations avec la famille restée en France sont épisodiques, les amis sont éparpillés dans le monde. La famille expatriée devient alors le refuge où l’on se sent en sécurité et où l’on se sent entouré pour affronter les changements périphériques.
Finalement les seuls liens immuables que tisse un enfant expatrié sont ceux qu’il a tissés dans le noyau familial. Les relations sont intenses car le parcours est identique. La famille a fait face aux mêmes défis d’adaptation en même temps. On peut y partager ses doutes, ses inquiétudes ou ses joies avec d’autres personnes qui vivent la même chose, qui comprennent. On peut y raconter ses peines et ses angoisses, l’écoute sera active car les défis partagées. La fratrie de soude et s’épaule inconsciemment, les liens fraternels sont serrés malgré les inévitables (et salutaires !) chamailleries.
… Le sentiment d’équilibre
Lorsque les expatriations se succèdent, les valeurs culturelles finissent par se télescoper et il est parfois difficile de réconcilier ces valeurs entre elles. La famille participe alors à la reconstruction de cet équilibre culturel. Elle joue un rôle de conciliateur. Au sein de la famille les valeurs restent les mêmes et s’y ajoutent peu à peu des valeurs nouvelles rencontrées au gré des expatriations. La famille devient un lieu de cohésion culturelle. On peut s’y tenir à table à la française tout en mangeant avec des baguettes. L’un n’exclut pas l’autre et cette réconciliation des codes apporte un sentiment d’équilibre culturel fréquemment absent chez les enfants expatriés.
… Le repère d’identité
Pour les enfants expatriés ce qui fait le plus cruellement défaut est souvent la notion d’identité. Les bouleversements culturels et géographiques récurrents mettent à mal la question des origines. La question « d’où viens-tu ? » devient un supplice. Une identité familiale forte peut corriger cette situation. Si l’on ne sait pas d’où l’on est, on aura tout de même des repères forts au sein de sa famille expatriée qui se forge sa propre identité au travers des pérégrinations communes, des langues apprises, des habitudes chamboulées, des cultures rencontrées. Originale, chaque famille expatriée l’est car son parcours est unique. Cette originalité permet une forme d’enracinement non plus géographique mais familiale.
… La stabilité
Les expatriés vivent dans un environnement qui évolue en permanence. Non seulement ils changent de lieux de vie régulièrement mais leur entourage est également volatile. Il ne s’agit plus seulement de leur propre mobilité mais aussi des changements dans leur entourage. Des amis, des professeurs, des voisins arrivent et/ou partent. En tant qu’expatrié on ne fait pas seulement face aux défis de son propre déplacement géographique mais également aux fluctuations de son environnement. La famille est à nouveau le seul repère stable.
… La relation parents-enfants atypique
Dans le cas de la majorité des familles sédentaires, les enfants vivent dans la continuité de la culture de leurs parents. Dans le cas de la famille expatriée, il peut exister une fracture entre l’enfance vécue par les parents et celle vécue par leurs enfants. Il peut s’installer non seulement un fossé générationnel classique mais surtout un fossé culturel. Alors que les parents ont un socle de valeurs culturelles solide, les enfants qui jonglent avec plusieurs cultures se construisent au sein d’une troisième culture, qui ne sera ni totalement celle de leur parents ni complètement celle de leurs pays d’accueil. Mais bien une culture de synthèse. Il n’est alors pas toujours facile pour les parents de comprendre ou même d’accepter ces différences. Etre un parent monoculturel qui élève des enfants multiculturels demande beaucoup d’ouverture et de bienveillance pour que cette différence devienne la source d’un enrichissement mutuel plutôt qu’un obstacle dans les relations familiales.
… La créativité
Et il y en a dans les familles expatriées ! Pour faire face à tous ces défis d’un quotidien souvent excitant et parfois déstabilisant ! La vie expatriée n’étant pas un long fleuve tranquille, la famille invente mille et une stratégies pour s’adapter, pour réinventer ses rituels et pour créer une zone de confort même dans un environnement de turbulences.
Alors, oui, la famille expatriée est une famille formidable ! Ses capacités intrinsèques sont décuplées par les défis auxquels elle doit faire face, ses qualités sont nourries par les aventures communes vécues par ses membres et les relations y sont intenses. Parce que finalement, peu importe où nous emmène le navire, le plus important est que l’on y aille ensemble.
Texte écrit pour Expats Parents en avril 2017 par Cécile Gylbert.